Le vrai développement personnel est aussi inconfortable qu’une fin d’anesthésie en salle de réveil post-opératoire.
Le vrai développement personnel est aussi inconfortable qu’une fin d’anesthésie en salle de réveil post-opératoire.
Imagine que l’on dispose d’une protection ultime contre la souffrance, un kit de premiers secours pour y faire face, un outil à utiliser avant de recevoir des soins appropriés. Nous avons tous ce kit en nous. C’est notre capacité à nous anesthésier.
Nous craignons la souffrance et la douleur.
J’ai peur de souffrir. Tu as peur de souffrir. Nous avons tous peur de souffrir. Quelque part, dans nos entrailles ou notre mémoire, nous gardons le souvenir d’une souffrance, qu’elle soit unique ou issue de multiples blessures de l’être. Notre instinct de préservation s’est juré de nous éviter à tout prix de revivre cela. Il cherche, en bon protecteur, à nous éviter la douleur et la souffrance, et c’est cela même qui engendre la peur de la souffrance.
Je n’ai pas toujours su que je craignais la souffrance.
Enfant, je me demandais ce qu'était le bonheur et comment les gens savaient qu’ils étaient heureux. Cette question m’obnubilait au primaire et j’étais bien consciente, du haut de mon jeune âge, que si j’avais été heureuse, la question n’aurait pas eu lieu d’exister. Pour autant, je ne réalisais pas que mon état anxieux ainsi que la sourde tétanie qui m’habitait s’apparentaient à une souffrance non consciente.
À l’image des endorphines que notre corps sécrète pour interrompre le message de la douleur physique et nous permettre de continuer à avancer lorsque la douleur devrait nous stopper net, la peur de la souffrance ou la souffrance elle-même ont la capacité de nous anesthésier émotionnellement.
Tel un voyant de panne qui serait allumé depuis trop longtemps sur le tableau de bord de notre vie et auquel nous ne prêtons plus attention.
Je crois que tous les humains vivent ce mécanisme d’anesthésie émotionnelle - en conscience ou non, de manière légère ou probante, et ce, plusieurs fois au cours de leur vie. Ce mécanisme est naturel et lié à notre instinct de survie. Il est donc normal qu’il existe. Pour autant, je doute qu’il soit source de bien-être s’il perdure. Si la souffrance peut nous anesthésier et même engendrer l’oubli pour certaines parts conscientes, les parts inconscientes se souviennent toujours.
Les blessures ne disparaissent pas sous anesthésie.
Dans nos vies humaines, les choix et les circonstances propulsent parfois notre évolution. Nous passons progressivement d’inconscience à conscience, bon gré mal gré. Et cela se fait souvent avec une couche d’anesthésie en moins.
À l’adolescence, nous vivons tous un processus de conscience qui nous pousse vers une forme d’autonomie. C’est à ce moment que j'ai commencé à ressentir vraiment mes émotions. À cette période, j’ai rencontré mon anxiété, compagne invisible jusque-là. J’avais l’impression d’être dans une salle de réveil post-opératoire, confrontée à une douleur que je ne pouvais plus ignorer.
J’ai alors entamé mes premières rencontres avec des psy avec régularité et j’ai instauré mes premières introspections réelles. Maintenant que je savais que je souffrais, il fallait que je comprenne pourquoi et comment sortir de cet état. En travaillant avec mes psy pour reconnecter avec mes émotions, j’ai appris à accepter l’inconfort comme une partie intégrante de mon processus de guérison et de croissance. La rééducation commençait. Même si je ne savais pas combien de temps cela prendrait, chaque petit progrès me rappelait que la transformation était possible.
On commence rarement par le cœur du sujet souffrant en thérapie. On avance plutôt par couches progressives, selon la confiance que nous portons au processus et au thérapeute. Nous cheminons de plus en plus vers l’intime et en lien avec notre vulnérabilité.
Je pense aujourd’hui que ce réveil progressif fut une bénédiction, un échantillon gratuit de ce que le développement personnel pouvait m’apporter. Les quatre ans qui séparaient mes quatorze ans du moment de la mort accidentelle de ma sœur m’ont permis d’installer une relation de confiance avec mon introspection, avec mes émotions, et une certitude que mieux me connaître me donnait plus de pouvoir sur ma vie. Ces années ont amorcé ce que j’appellerais aujourd’hui les préliminaires de l’introspection.
Juste assez pour que je voie les bénéfices, juste assez pour que je prenne de l’assurance dans le processus, juste assez pour muscler ma résilience. Avant que la perte de ma sœur ne me secoue comme l’ultime réveil pour bon nombre de mes dénis.
Que les événements de la vie nous ouvrent les yeux ou que nous fassions le choix de grandir en conscience, il arrive que nous soyons prêts ou au moins motivés à prendre soin de nos blessures. Naïvement, nous pensons que panser telle ou telle blessure émotionnelle nous mènera à un apaisement, que notre vie émotionnelle deviendra moins intense, plus facile.
Mais cela est à la fois vrai et faux.
Oui, chaque blessure qui recevra un soin, un traitement d’amour et de considération, trouvera un chemin vers la guérison. Mais il faut compter avec le fait que la conscience est un antidote à l’anesthésie émotionnelle. Plus nous choisissons de mettre de la conscience moins l’anésthésie est présente. C’est parfois ainsi que les gens se perçoivent alors comme hypersensibles.
Faire face à ses blessures demande du courage et une forme de foi car, soyons honnêtes, personne ne sait exactement combien de temps il faudra faire face à l’inconfort avant une possible (sans garantie) guérison.
La véritable croissance personnelle passe par l’acceptation et la compréhension de nos émotions, qu’elles soient agréables ou douloureuses. Ce processus exige de la patience, du courage, et une bonne dose de détermination. En embrassant nos blessures et en les explorant avec bienveillance, nous découvrons des parts de nous-mêmes que nous avions peut-être oubliées ou ignorées, cachées dans les ombres de nos dénis et de nos anesthésies.
Chaque douleur peut être traduite en émotions. Chaque émotion peut être comprise dans une perspective de message d’évolution afin de nous connaître. Celui-ci nous aidant à retrouver du pouvoir sur nos vies.
C’est un cercle vertueux qui s’installe. La conscience (ou selon ton vocabulaire : acceptation, amour, accueil) dilue l’anesthésie émotionnelle et laisse apparaître les émotions qui peuvent être accueillies et vécues.
En fin de compte, vivre pleinement nos émotions, même les plus inconfortables, nous permet de nous libérer des chaînes de l’anesthésie émotionnelle. Cela nous donne la force de transformer notre souffrance en sagesse et de faire de chaque expérience une étape vers une vie plus consciente et épanouie.
Le voyage vers soi que nous proposent nos émotions n'est pas un chemin pavé de certitudes, mais chaque pas, chaque prise de conscience, nous rapproche d'une existence plus authentique.